Ma terre

 

Il est vrai, entre nous, que tu es la plus belle,

Mais qu'il faut bien tailler dans ta toison rebelle

Au milieu du concert que donnent les oiseaux

Chantant le renouveau

Du printemps.

 

Comme passe le temps

De ton chapeau fleuri et de ta robe verte,

Vient s'offrir à nos yeux une autre découverte .

Ce sont tes cheveux d'or,

Toison de grains de blé, un merveilleux trésor.

C'est déjà Messidor.

 

Quand passe Thermidor,

S'éloignent de ton front les moites canicules,

Alors ton sol trop nu est un peu ridicule,

C'est la demi-saison,

Et tu viens endosser un ensemble un peu fou

Où l'on voit dominer la sanguine et le roux,

Sachant pertinemment que ta parure fauve

Est ton dernier plaisir, qu'après tu seras chauve,

Que tu vas t'endormir dans les bras de l'hiver

Car la boucle est bouclée et morne est l'univers.

Ma terre,

J'ai dansé sur ton dos la ronde des saisons,

La polka des moissons, valse des fenaisons,

Pas de deux des vendanges.

C'était le bal étrange

De tous les culs-terreux.

 

Je l'ai fait " travailler ", j'ai eu de la besogne.

Je suis un exploiteur et le dis sans vergogne.

Pour toi la soumission,

Mais pas de rémission

Pour les coupeurs de" lèches "

Le manche de la bêche

M'a torturé la main.

Tu fus mon gagne-pain !

De mon soc aiguisé j'ai ouvert tes entrailles

Pour enfouir en ton sein l'espoir de mes semailles,

Mais, au fond, nos deux coeurs battaient à l'unisson

Depuis que je n'étais qu'un tout petit garçon.

Les hommes m'avaient dit: " Tu es propriétaire,

C'est ta terre!

Et moi, je l'avais cru !

Il y a de l'abus :

Je sais bien maintenant que tu n'es à personne

Et que je suis à toi,

Car, le moment venu, ma carcasse en frissonne,

J'irai me reposer au creux de ton parterre,

Ma terre,

En Paix.

 

25 septembre 1992

 

 

Pisser face au soleil

et péter dans le vent

 

 

Pisser face au soleil et péter dans le vent,

C'est de la liberté la vérité première,

Car en cambrant les reins en plein dans la lumière

Et pour guider le jet arrondissant la main,

On se trouve faraud parmi tous les humains.

Hypocrite bourgeois qui te voiles la face,

Regarde donc un peu un homme de ta race

Pisser face au soleil et péter dans le vent

Avant de se coucher et puis en se levant.

 

Pisser face au soleil et péter dans le vent

A toujours ébloui mon âme libertaire,

Voulant directement remettre à notre terre

De son vin généreux le pauvre résidu.

Je sais que l'on prétend que je n'aurais pas dû,

Et la bigote outrée, horrifiée et hagarde,

Ne croit pas que son Dieu, qui pourtant me regarde,

Doit se frotter les mains en me voyant souvent

Pisser face au solei 1 et péter dans le vent.

 

Pisser face au soleil et péter dans le vent,

Je sais que l'on admet, sur notre terre ingrate,

Que le malheureux chien puisse lever la patte

Et que le ruminant, créant tout un ruisseau,

N'a jamais pu troubler vos cervelles de sots.

Vous détournez les yeux pendant que je vidange,

Mais vous froncez le nez car ça sent la vendange,

Quand je pisse au soleil et pète dans le vent.

Des sujets féminins s'en vont tout en rêvant ...

 

Pisser face au soleil et péter dans le vent,

Vous qui vivez serrés un peu comme des moules,

Cet acte merveilleux vous fait tourner la boule.

La morale et la loi pourtant vous ont traqués

Et, croyant vivre heureux, vous vous êtes parqués.

Vous pouvez bien, les gars, gagner de la galette,

En avoir, après tout, une pleine mallette.

Il n'est qu'un homme au monde, et c'est le paysan,

Pour pisser face au soleil et péter dans le vent.

 

Pisser face au soleil et péter dans le vent,

Avant que le grand froid ait gagné mes vertèbres,

Que mon âme ait sombré dans les grandes ténèbres,

Que tout soit effacé, qu'il ne reste plus rien,

Que l' on dise partout: « Ce n'était qu'un vaurien. »

Je voudrais demander à cette providence

De bien me soulager à la même cadence,

De pouvoir chaque jour, et ça pendant longtemps,

Pisser face au soleil et péter dans le vent.

 

 

 

A l'image de Dieu

 

 

Pourquoi,

Si l'humain fut créé à l'image de Dieu,

Mais pourquoi donc, alors, est-il aussi odieux ?

Pourquoi tant de Judas et de Ponce Pi1ate,

Tant de buveurs de sang grisés par l'écarlate

Et tant de tortionnaires à l'esprit tortueux,

Tant de hargne et de haine et d'actes monstrueux,

Et tal:'t d'indifférence à la peine des autres ?

Suffisance, égoïsme où souvent on se vautre,

Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? C'esi de la répulsion

Chez les individus, les groupes, les nations ?

Investigations !

Cherchons d'où vient 1e mal, tout comme un thérapeute,

Remontons au début avec le Pentateuque :

Tout part de la Genèse où l'on peut constater

Que dès la création , ils étaient excités :

C'est le frère assassin et la femme salope,

Avec intensité, le mal se développe.

Le pauvre Adam trompé, chassé du Paradis,

Pour nous a commencé le grand bal des maudits.

Il y a deux mille ans,

Dans ce monde excessif , un souffle messianique

Pour combattre l'inique.

De cette pourriture émerge un rédempteur

Qui périra des mains de tous ses contempteurs.

Enfin, de cette nuit jaillissait la lumière,

C'était une première.

Mais deux mille ans après, nous devons nous avouer

Que le pauvre Jésus a été désavoué :

Son esprit, les marchands l'ont chassé de son temple.

 

Février 1992

 

 

Les lieux d'aisance

 

Refuge de l'enfant, hâvre du prisonnier,

Ayant été les deux, je ne peux te renier.

Notre défécation arrêtant le vigile,

Du monde carcéral tu es le seul asile.

On les a dits d'aisance, et c'est ce qui indique

Que tous les oppresseurs, voulant rester pudiques,

S'arrêtent sur son seuil, respectant le tabou.

Bien qu'étant accroupi, on s'y trouve debout,

Apaisé, relaxé, car on veut dans l'attente

Prolonger très longtemps l'agréable détente.

Hélas ! trois fois hélas ! les instants y sont courts,

La halte d'un moment, pour reprendre un parcours

Parsemé de contraintes et autres avanies

Qui nous font regretter la parfaite harmonie

De ce petit endroit où l'esprit et le corps

Etaient pour une fois parfaitement d'accord.

 

Moralité

 

Dans notre société orgueiIleuse, superbe,

C'est là qu'il faut aller lorsque l'on vous emmerde.

 

 

 

La bourse

 

Nous sommes tous passés par elle !

Je parle

De la génitale.

Mais il y a aussi celle

Du capital.

Qu'elle soit oui ou non testicule,

Dans les deux cas on gesticule.

Mais chez ces gesticulateurs,

Il y a les géniteurs

Et les spéculateurs

De la vie.

Celle qui nous conditionne,

C'est la bourse des valeurs

Porteuse de douleurs.

En effet, si l'on additionne

Ses bienfaits et ses méfaits,

Que d'êtres elle a défaits !

Combien de chômeurs, combien de misérables,

D'enfants pleurant de faim,

D'existences sans lendemain ?

Son motif: le pognon qui est inexorable.

 

 

Reflexion

 

A ceux qui ont rêvé de purifier le monde,

Je dis que c'est bien là qu'il faut poser des bombes.

 

 

Amour champêtre

 

Zut à ta T.V.A., merde au marché commun,

Moi, l'ai faissé tomber les outits de mes mains.

C'est penché sur le feu qui crépite et qui brille

Que le vois repasser l'ombre d'un loyeux drille.

Puisque je suis fini, puisque je suis vaincu,

Je songe à mes quinze ans en me chauffant le cul.

 

Quinze ans, y pensez-vous ? Mais c'était le bon temps

Où tout était nouveau, agréable et tentant,

Où la fille en émoi sentant monter la sève

Appelle le faux pas, voulant imiter Eve.

Ca s'est passé ainsi, gentiment, sans façon,

Quand, jeune paysan, j'ai pris une leçon.

 

Et vous, bourgeois, cagots hargneux et tatillons,

Laissez-moi donc chanter un petit cotillon,

Laissez-moi donc chanter la petite bergère,

Laissez-moi exalter son ombre si légère,

Car au fond de mon coeur je voudrais que ce chant

Ait toute la beauté qu'a le so1ei1 couchant.

 

C'était une gamine, je n'étais qu'un gamin,

Mais déjà, par les yeux, par la bouche et la main,

Nous prenions des leçons d'histoire naturelle.

Nous inventions des jeux avec la volonté

De deux enfants perdus cherchant la vérité.

 

Quand je la butinais, elle avait des façons

De dire à demi-mot : « Tu n'es qu'un polisson »

Ce n'était cependant qu'une ébauche de femme,

Mais sous son caraco, qu'ils avaient donc du charme

les renflements mignons des petits seins pointus

Qui redressaient la t'te, effrontément têtus !

 

Si je voulais toucher le bord de son jupon,

Je la voyais froncer le nez d'un air fripon.

Mais je voyais aussi qu'elle attendait la chose

En passant sur ses dents un bout de langue rose.

Je ne dirai lamais, même en parlant tout bas,

Ce que nous avons fait au cours de nos ébats.

 

 

Nécessité

 

On est libre, dit-on dans ce monde aseptique.

Mais moi je n'y crois pas et je reste sceptique.

Pour poser la culotte ou bien le pantalon ,

Il faut nous enfermer dans un petit salon.

Et là, étant assis, sans une défaillance,

On vient en soupirant emmerder la faïence,

Et puis de la cuvette on referme le rond.

Il n'y a pas de quoi faire le fanfaron !

 

Pour moi, le paysan, étant loin de la ville,

Je ne suis pas astreint aux contraintes serviles.

Aussi, c'est dans les champs, sans me presser de trop,

Que je viens accomplir les gestes ancestraux

Qui tournent la rotule et relèvent la cuisse,

Supportant le fessier pour lui rendre service.

C'est avec cet appui que l'on soutient l'effort

Qui soulage l'esprit en libérant le corps.

 

 

Lettre de Noël

 

Je sais, mon cher petit, qu'en l'humble cheminée

Où descendra Noël,

Tu as mis cette année, ainsi que chaque année,

Ta Iettre pour le ciel.

Le vent, qui te fait peur quand il est en colère,

L'a transmise tà-haut,

Et Noël est venu me la lire en mystère

A travers mes barreaux.

Dans sa voix qui tremblait d'une émotion profonde,

J'ai reconnu ta voix,

Ta voix caline et douce, ta voix de tête blonde

Que j'ai gardée pour moi.

Les mots que tu disais, je t'entendais les dire

Comme au temps d'autrefois,

Lorsque, sur mes genoux, tu essayais de lire

Tout un livre à la fois.

Et ta lettre, chéri, dédaignant la fortune,

Les joujoux qu'on n'a pas,

Demandant cette année un peu plus que la lune,

Demandait ton papa.

Oubliant Cendrillon, Peau d'Ane et leur cortège,

Tu voulais ton papa.

Alors Noël s'est tu dans sa barbe de neige

Et j'ai pleuré tout bas.

Le vieillard tout puissant ne pouvait satisfaire

A ton ardent désir,

Alors il appela le vent de la nuit claire,

Le vent qui fait frémir.

Et prenant dans mon coeur tout mon amour irnmense

Je l'ai mis dans ces vers.

Le vent te les dira tout bas dans le silence

Des longues nuits d'hiver.

 

 

Décembre 1940 MG. Stalag IV-A.

 

 

 

 

Pour mon arrière-petite-fille Lauren  âgée de cinq mois

 

 

Lauren

 

J'ai vu pointer l'aurore au fond du crépuscule,

Quelque chose de grand venant du minuscule.

 

De ma misanthropie en perçant le brouillard

Tu as fait palpiter le coeur mort du vieillard.

Articulant ton nom, fait de Laure et de Reine,

Je vois la poésie et le charme qui trainent

Dans un mot prononcé avec beàucoup d'amour.

Je m'en vais vers la nuit, tu t'en vas vers le jour !

 

J'ai vu pointer l'aurore au fond du crépuscule,

Quelque chose de grand venant du minuscule.

 

Une petite fille, un tout petit enfant.

Au fond de mon granit, quelque chose se fend,

Un plaisir délicieux, un bonheur sans mélange,

L'extase du païen qui voit sourire un ange.

 

J'ai vu pointer l'aurore au fond du crépuscule,

Quelque chose de grand venant du minuscule.

 

De grands yeux noirs brillants comme des escarboucles

Sous un front de satin auréolé de boucles.

 

Pour avoir le plaisir de contempler Lauren,

Si j'avais le pouvoir de suspendre le temps,

Je figerais sa vie, et mon âme sereine

Verrait dans mon hiver un éternel printemps.

 

 

Fait à Massognes en mai mil neuf cent quatre voingt onze.

 

 

 

Les cocus magnifiques

 

Peu de gens ont compris

Pourquoi le gueux votait souvent comme un nanti.

On parle de bêtise,

C'est plutôt du ressort de la psychanalyse.

Depuis la fleur de lys,

Ils ont ça dans le sang comme une syphilis ;

Leur subconscient les lave,

Car leurs gènes ont inscrit leur condition d'esclaves.

Chacun sait qu'ici-bas

Quand vient un Spartacus, il y a cent Judas.

C'est eux qui font l'office

De lécheurs assidus des riches orifices.

Ils sont toujours contents,

Toujours prêts à blanchir l'affront des inconstants.

Les vieux faiseurs de messes

Les ont accoutumés à vivre de promesses.

Rien ne peut les changer,

Ils sont toujours pour ceux qui leur en font manger.

Se tenant sous la table

De leur ancien seigneur, de leur nouveau notable,

Comme un chien grappillant les miettes d'un festin,

Ils suivent leur destin.

 

 

 

Les artisans

 

Ils existaient déjà dans le fin fond des âges

Et c'est bien grâce à eux, c'est grâce à leur ouvrage

Que notre humanité triompha de la nuit.

Il faut s'en souvenir en pensant qu'aujourd'hui,

Sans l'ombre d'un regret, sans avoir de remords,

On les condamne à mort ,

Les Artisans.

 

Leur instinct inventif guidant leurs doigts dociles,

Ils nous ont fabriqué l'outil et l'ustensile,

Ils nous ont protégés et ils nous ont vêtus,

Au prix d'un dur labeur opiniâtre et têtu.

Sans l'ombre d'un regret, sans avoir de remords,

On les condamne à mort,

Les Artisans.

 

Nous avions des besoins et même des envies,

ils ont fait les objets jalonnant notre vie,

Autour de nos berceaux, autour de nos cercueils,

t1s étaient toujours là, franchissant notre seuil.

Sans l'ombre d'un regret, sans avoir de remords,

On les condamne à mort,

Les Artisans.

 

Ayant très bien compris que l'homme était avide,

De son grand dénuement ils ont rempli le vide.

Ces façonneurs de pierre et de fer et de bois

Ont servi tous les gueux aussi bien que les rois.

Sans l'ombre d'un regret, sans avoir de remords,

On les condamne à mort,

Les Art isans.

 

Rejetant loin de lui ceux qui l'aidaient à vivre,

Le troupeau des humains s'empoisonne et s'enivre.

Les miasmes du progrès au fumier du profit,

A la simple raison c'est le triste défi.

Sans l'ombre d'un regret, sans avoir de remords,

On les condamne à mort,

Les Artisans.

 

Ayant depuis longtemps disparu dans l'usine,

Esclaves du patron, servant une machine.

Leurs gestes, qui faisaient apparaître le beau,

Ne seront désormais que gestes de robots.

Sans l'ombre d'un regret, sans avoir de remords,

On les condamne à mort,

Les Artisans.

 

 

 

Suffrage universel

 

L'suffrage universel,

Non! il n'est pas sans sel !

 

Querelles de personnes et aussi de boutiques,

Ce sont des jeux de cirque,

Des jeux de saltimbanques.

En effet, rien n'y manque .

Des boninenteu rs

Menteurs,

Qui enflammés ou ternes

Présentent des vessies en guise de lanternes .

Des jongleurs de formules,

Dangereux funambules ;

Des faiseurs de promesses,

Pour ou contre la messe.

Joviaux présentateurs auxquels nous disons « bis »

Quand ils disent « Demain, nous raserons gratis » !

On a peine à y croire :

Au cours de notre histoire

Des gars se sont battus

Pour élire un salaud qui les faisait cocus.

Là, vous pouvez me croire :

Si pendant la campagne il se dit votre ami,

Tous les coups lui sont bons, tous les moyens permis.

 

Mais pour moi : c est fini !!!

 

 

 

Il n y a donc personne

là-haut ?

 

1 . Je me disais avec Marcelle :

« Quand nous aurons quitté Sarcelles

Pour les vacances de l'été,

Vive l'amour en liberté! »

Je me suis aperçu bien vite

Que j'avais le doigt dans l'orbite !

 

Refrain

Il fait beau, il fait beau , il fait beau,

Le soleil vient nous griller la peau.

Il faut arrêter la canicule,

A la fin ça devient ridicule.

Il fait chaud, il fait chaud, il fait chaud,

Il n'y a donc personne là-haut ?

 

2.

Maintenant , Madame se bronze

A moins le quart et à moins onze,

Et sur les bords de l'océan

Je vois pulluler les céans.

Quand je m'approche je débloque,

Il faut faire attention aux cloques !

 

(Au refrain)

 

3.

Entre nous, je ne pensais guère

Que mon séjour serait grégaire,

Au point de devenir malsain,

Par multiplication des seins.

Sully n'avait que deux mamelles,

Mais moi je les vois à la pelle !

 

(Au refrain)

 

4.

Je regarde le baromètre

Qui pourrait enfin me permettre,

En s'abaissant, de m'enlever

Le désir qui me fait rêver ;

Mais il n'y a pas un nuage

Et je suis forcé d'être sage !

 

(Au refrain)

 

5.

Je pensais aux pins maritimes

Pour une promenade intime.

En arrivant ce fut en vain :

Ils étaient déjà quatre-vingts !

Alors je dis à ma compagne :

« Pour l'an prochain, c'est la montagne! »

 

(Au refrain)

 

 

 

Testament (Le vieux)

 

Il est passé Noël, voilà le nouvel an,

En me chauffant le trou j'établis mon bilan.

 

Autrefois, je pissais; maintenant, je pissotte

En faisant quelques ronds sur le bout de ma botte.

 

Autrefois, fantassin, baïonnette en avant,

Je montais au combat, et même assez souvent.

 

Maintenant, à l'action j'ai substitué le rêve

De l'instant fugitif, de la minute brève.

 

Autrefois, au repas, j'en avais du mordant !

Il est vrai que, pour ça, j'avais toutes mes dents,

 

Adieu mes incisives et adieu mes molaires !

Maintenant le rôti me rend atrabilaire ...

 

Autrefois, plein d'élan, je montais à l'assaut

Des salauds, des vendus, des pourris et des sots.

 

Maintenant, j' ai compris, l'entreprise est futile.

C'était peut-être beau, mais c'était inutile.

 

Autrefois, j'admirais ce que l'on trouve odieux

Brocarder les anciens et piétiner les vieux.

 

Maintenant, les jeunots abîment mon panache,

Me traitent d 'abruti et de vieille ganache.

 

Je ne me vexe pas, trouvant ça rigolo,

En pensant qu'eux aussi auront le même lot.

 

Devenus vétérans, ils comprendront le drame

De voir un beau poilu sans présenter les armes.

 

Le ventre chaviré et les yeux larmoyants,

Ils auront le dépit qu'ont eu tous les croyants.

 

Leur regard de dévot découvira la vierge

Sans avoir le moyen d'y allumer un cierge.

 

Enfin, suprême outrage, ultime panacée,

Ils la découvriront sur la chaise percée.

 

En faisant comme moi, lorsqu'ils seront vaincus,

Ils se rappelleront tout ce qu'ils ont vécu.

 

 

 

La Dive

 

Il monte de son lit ainsi que de ses rives

Un charme délicieux. C'est un enchantement

Qui vous arrive.

C'est la puérilité de l'enfant qui babille,

Son débit continu vient calmer les tourments

Et l'on peut constater qu'au fond un rien l'habille

La belle fille !

Plongé dans un plaisir de "relax" aquatique,

On peut imaginer que dans la nuit des temps

Sur ses bords il vivait une cité antique

Et que des ablutions s'y faisaient au printemps,

Douce pratique.

 

Ma Dive, auprès de toi j'ai passé mon enfance,

Ta personnalité a servi à mes jeux,

Repoussant loin de moi les multiples défenses

Et cette punition qui en était l'enjeu.

Ma mère qui, bien sûr, pardonnait mes offenses,

Malgré quelques soufflets - je crois affectueux -

N'a jamais rebuté ma grande indépendance.

 

J'ai vu se transformer ton modeste débit

A peu près comme un boeuf sortant d'une grenouille,

Et, la main sur le coeur, menteur qui s'en dédit,

Une fois ou bien deux j'ai imité Gribouille.

J'ai aussi constaté le contraire, pardi !

Et je suis arrivé à prier pour qu'il mouille.

 

En ce temps-Ià, les hommes étaient civilisés,

Ils étaient amoureux de toute la nature

Car c'était leur credo et leurs Champs-Elysées,

Mais insensiblement c'est une pourriture

Qui vient tout submerger.

Pour un peu de profit ils ont tari ta source,

Pour goûter l'immédiat sacrifié l'avenir,

Et ils ont de la terre emprunté les ressources

De leurs propres enfants brisant le devenir.

 

Ces pauvres insensés,

Ont-ils donc oublié

Que le soleil et l'eau sont les sources de vie ?

 

 

Massognes, septembre 1992

 

 

 

La vie

 

C'est un petit chemin qui va d'un trou à l'autre.

Le gueux y va peinant et le rupin s'y vautre.

 

Sortant à contre-coeur de sa chaude cachette,

Il n'est pas étonnant que l'enfant pousse un cri,

N'étant pas rassuré. Le monde qui le guette

Est si rébarbatif qu'il a déjà compris.

De plus, il ne sait pas, en ouvrant sa coquille,

Ce que sera son 1ot : le pire ou le meilleur.

Dans les jeux de l'amour, qui possédait 1a quille,

Etait-ce 1e patron ou bien le balayeur ?

 

Malgré tous les tabous, les lois, les ordonnances,

Malgré 1es impuissants qui prêchent l'abstinence,

Malgré l'appréhension et malgré le remords,

Malgré le grand péché dans la peur de la mort,

Malgré notre culture aux multiples barrages,

Depuis la nuit des temps, d'où nous vient cette rage ?

De vivre !

 

 

 

Prévision

 

Ils seraient sept cent millions

Aussi gras que des cochons :

Nantis, bourgeois, dirigeants,

Qui font mourir bien des gens.

Et puis les cinq milliards

Qui souvent n'ont pas un liard,

Détestent tous ces infâmes

Qui ont un corps mais pas d'âme,

Par contre des Ssophages

D'anthropophages

Qui font de grands ravages.

 

 

P. S.

 

Attention! Un peuple intègre

N'abat pas les bêtes maigres !!!

 

1991

 

 

 

En me chauffant le cul

 

Je ne suis, braves gens, qu'un vigneron indigne,

Las de la féconder, je fais brûler ma vigne.

 

Je me chauffe le cul et les parties honteuses,

Ce n'est pas euphémisme ou phrase tortueuse.

L'endroit est triomphant lorsque l'on est gaillard,

C'est la Bérézina lorsque l'on est vieillard.

 

Je me chauffe le cul avec béatitude,

Le pauvre! J'ai pour lui de la sollicitude.

Au risque de choquer les esprits pudibonds,

Je tremble à chaque instant qu'il me fasse faux bond.

 

Je me chauffe le cul, je somnole et je rêve,

Du berceau au cercueil, que l'existence est brève !

Lorsque je regardais couler l'eau sous les ponts,

Un tas de pauvres idiots couraient le marathon.

 

En me chauffant le cul, évidemment, je songe

Que j'ai lu, entendu mensonges sur mensonges.

Avec le temps passé, je commence à savoir

Qu'un gueux a peu de droits et beaucoup de devoirs.

 

Je me chauffe le cul et, les fesses ravies,

Je suis revigoré, je renais à la vie,

Car devant le brasier de mes sarments noueux

J'ai conscience d'avoir un cerveau monstrueux.

 

Je me chauffe le cul et mon esprit gamberge :

Si nous logeons deux fois tous à la même auberge,

C'est que, malgré l'argent que l'on a peu ou prou,

Là où l'homme commence il finit : dans un trou.

 

Enfin, pour terminer, que Dieu me le pardonne,

En me chauffant le cul, parfois, je barytonne,

Et, vilains et croquants, si cela vous déplaît,

Sachez que l'expression vient du bon Rabetais.

 

 

Massognes,  mars 1969

 

 

 

A mes chiens

 

Un jour, quelqu'un a dit: " Au fond du coeur le l'homme,

Se trouve  un cimet ière

De chiens. "

En consultant le mien,

Je me suis aperçu sur le fond, sur la forme,

Qu il avait bien raison.

Gardiens de la maison,

Par leur fidélité, mais aussi leur tendresse,

C'est à eux que j'adresse

Ces quelques humbles vers.

Ils se sont insérés dans mon triste univers

Et grâce à leur présence

Je ne suis pas tombé dans la désespérance.

Je revois leur pelage et leurs yeux si protonds.

Au fond de ma mémoire, il me reste le nom

De tous mes compagnons :

Black, Pif, Tommy, Raboliot, Flupp, Lijouba, Nouchka.

 

 

Octobre 1992

 

 

 

Et pourtant,

derrière la vitre

 

 

Et pourtant, derrière la vitre,

Le restant de ce qui fut un pitre,

Un grand coin de ciel bleu,

Son chagrin quand il pleut...

 

Et pourtant, derrière la vitre,

Le restant de ce que fut un pitre

Dans un monde peuplé de pantins,

L'existence putain,

Et pourtant que l'on trouve si belle.

Et puis là, une saison nouvelle

Qui va éclore...

 

Et pourtant, derrière la vitre,

Le restant de ce qui fut un pitre

Qui a le coeur battant

De voir des animaux qui sont bien existants

S'ébattre. . .

 

Et pourtant, derrière la vitre,

Le restant de ce qui fut un pitre,

Pas forcément drô1e

Dans son rôle,

Qui vient vibrer encor

En regardant dehors

La vie . . .

 

Et pourtant, derrière la vitre,

Ce qui est resté de ce qui fut un pitre,

Tout perclus de douleur,

Et qui a du bonheur

A regarder les fleurs

De pâquerettes...

 

Et pourtant, derrière la vitre,

Les restants d'un vieux pitre

Qui regarde les chats

Qui font des entrechats

Pour se sécher les pattes...

(Car toujours il m'épate,

Cet étrange animal !)